Interview de Philippe Gaudon, chef de projet pour la participation française à Rosetta, CNES (2024)

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Interview de Philippe Gaudon, chef de projet pour la participation française à Rosetta, CNES (1)

08 août 2014 Lettre 3AF

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Alors que Rosetta n’est plus qu’à une centaine de km de Churyumov-Gerasimenko, nous en savons toujours un peu plus sur la comète; Philippe Gaudon, chef de projet pour la participation française à Rosetta au sein du CNES, nous livre sa vision de cette mission extraordinaire et des challenges techniques qui l’accompagnent.

Avant de parler du projet et des challenges techniques qui lui sont associés, pouvez-vous nous faire partager votre vision sur ce que cette mission Rosetta a d’extraordinaire? Quels sont les enjeux scientifiques associés à cette mission?

C’est une mission magnifique, très ambitieuse. Etre acteur d’un projet comme celui-ci, c’est un objectif que je poursuis depuis toujours il me semble, tant j’ai toujours été passionné de planétologie.

L’objectif premier de Rosetta est de comprendre ce qu’est une comète, qui est, d’après la théorie, un corps à l’origine du système solaire, et qui préexistait à la création des planètes. D’où le nom de Rosetta, en référence à la Pierre de Rosette qui a permis à Champollion de décrypter les hiéroglyphes. L’idée est de décrypter l’histoire du Système Solaire.

Le deuxième objectif est de trouver dans le sol de la comète des molécules qui permettraient d’expliquer les origines de la vie. En effet, toujours d’après la théorie, bien après la formation des planètes, il y a environ 3 milliards d’années, les comètes auraient percuté la Terre et leur eau serait à l’origine de la formation des océans. Ce sont elles qui auraient amené des molécules complexes sur Terre, telles que les acides aminés. Ces molécules se trouvant dans des conditions favorables, l’eau sous forme liquide en particulier, elles auraient permis la formation des molécules du vivant. Ainsi, avec Rosetta, nous devrions être capables de remonter le temps, entre 5 milliards d’années – la formation des comètes- et 3 milliards d’années – au moment des derniers impacts importants sur la Terre - .

Afin d’étudier le noyau de la comète, ainsi que le gaz et la poussière éjectés par le noyau lorsque la comète s’approche du Soleil, Rosetta emporte une suite de onze instruments à bord de l’orbiteur ainsi qu’un atterrisseur, Philae, équipé de dix instruments supplémentaires qui réaliseront des mesures en surface.

Au départ de la mission, la sonde Rosetta se dirigeait vers un corps totalement inconnu, et dont nous savons aujourd’hui encore peu de choses. Nous savions que sa taille était d’environ 4 km et qu’il avait une rotation de 12 heures. A cause de sa petite taille, nous n’avions pas les moyens de le voir correctement dans les télescopes les plus puissants actuellement disponibles. Lorsqu’elle est loin, leur résolution ne permet pas de voir le noyau. Lorsque la comète est proche de la Terre, elle est entourée d’une «coma» opaque, ce qui nous empêche d’identifier sa forme ou la composition de sa surface à distance. Au plus proche, elle a été à une distance de 70 millions de km de la Terre. Au plus loin, à 800 millions de km du Soleil et environ 650 – 850 millions de km de la Terre.

Rosetta observe Churyumov-Gerasimenko avec toujours plus de précision, qu'avez-vous récemment découvert de la comète?

Rosetta accompagne en ce moment la comète dans sa trajectoire, et n’est pas encore en orbite. Elle est aujourd’hui à une distance d’environ 100 km et a livré des images avec une précision de l’ordre de 3 à 5 m. Nous avons eu la surprise de découvrir un corps double, divisé en deux parties dissymétriques, resserré au centre, et qui comporte des falaises importantes.

Vous vous attendiez à découvrir une telle forme?

Je n’imaginais pas une forme aussi tourmentée. Cinq comètes ont déjà été survolées auparavant, et aucune n’avait un tel relief. Les comètes sont plutôt ovoïdes, en forme de cacahouète ou de ballon de rugby. Même parmi les astéroïdes, peu de corps sont aussi accidentés.

Nous avons également appris le 7 août la température du sol de la comète (-50°C) qui est plus chaude de 20°C par rapport à nos prévisions. Cela signifie que la comète n’est pas recouverte de glace d’eau.

Ce relief accidenté va-t-il poser des problèmes pour identifier le site d’atterrissage de Philae?

Nous avons besoin d’une zone plate d’environ 200 m; cette forme accidentée ne va effectivement pas nous simplifier la tâche, mais nous devrions y parvenir sans trop de problèmes. Une inconnue importante reste aujourd’hui l’estimation de la masse de la comète. Nous nous attendons à une densité de l’ordre de 0,3. Mais si elle est de 0,8 ou 0,1, cela modifiera la durée et la vitesse d’atterrissage que nous avons estimées. Nous attendons encore également des précisions sur le dégazage de la comète. Les 23 et 24 août prochain, l’ensemble de la communauté internationale impliquée dans l’atterrisseur Philae va présélectionner 5 sites d’atterrissage potentiels, le site final sera choisi le 12 octobre.

Pouvez-vous nous rappeler l’organisation et la mission de la France et du CNES vis-à-vis de Rosetta, Comment ce projet international est il organisé en termes de responsabilité et de financement?

Rosetta est une mission internationale menée sous la responsabilité de l’Agence Spatiale Européenne (ESA). Le lancement est financé par l’ESA. Les instruments sont quant à eux financés directement par les Etats. Ainsi, si le CNES a participé indirectement au financement de la plateforme satellite par le biais de sa contribution au budget de l’ESA, la réalisation des instruments scientifiques a fait l’objet d’un mode de financement national. La part d’instruments scientifiques français de Rosetta et Philae est très importante dans le projet et représente un budget de l’ordre de 100 millions d’euros.

Le CNES gère par ailleurs la contribution française à l’atterrisseur Philae. Philae est géré dans le cadre d’un consortium d’instituts et d’agences spatiales internationaux dont nous assurons le co-management avec l’Allemagne et l’Italie.

De plus, nous avons directement fourni deux sous systèmesde l’atterrisseur:

- les piles et batteriespour le stockage de l’énergie

- le système de télécommunication entre Philae et l’orbiteur

Enfin, le CNES intervient directement au travers du SONC (Science Operation & Navigation Center), situé à Toulouse. Ce Centre comprend un ensemble de moyens qui permettent de préparer les activités scientifiques, coordonner, recevoir, traiter les données scientifiques. Une heure après l’émission des données par l’orbiteur, les données sont reçues, stockées, traitées et mises à disposition des scientifiques pour des analyses plus poussées. Ce centre effectue aussi des études techniques de descente et d’atterrissage (pentes, altitude, ensoleillement, transmissions des données, …), de reconnaissance du lieu et de la position d’atterrissage une fois que Philae est fixé au sol.

Quels sont les points clés de cette mission Rosetta, les challenges techniques qu’il a fallu relever et ceux encore à venir?

Pour accomplir une telle mission, il a effectivement fallu relever des challenges techniques difficiles; d’autres sont encore à venir. Voici quelques uns des points clés de cette mission:

  • L’assistance gravitationnelle: Pour atteindre la vitesse lui permettant d’arriver au plus près de la comète Churyumov-Gerasimenko, Rosetta a utilisé l’assistance gravitationnelle de la Terre, 3 fois, et de Mars, ce qui a permis d’accélérer la sonde de près de 10km/s sur sa vitesse initiale. Il a fallu faire pour cela plusieurs orbites autour du soleil, ce qui a demandé 10 ans.
  • L’hibernation: Au cours de son voyage, lors de la dernière orbite, Rosetta a dû passer dans des zones extrêmement froides. Malgré leur taille immense, les panneaux solaires ne permettaient pas de produire l’énergie nécessaire au fonctionnement normal de la sonde. D’où la nécessité de mettre Rosetta en hibernation afin de maintenir l’électronique en température. La sonde elle-même était alors très peu active, nous ne pouvions pas communiquer avec elle, seule la température était régulée.

Avant la sortie d’hibernation, nous ne savions pas dans quel état de fonctionnement nous la retrouverions… Le 20 janvier dernier, l’horloge interne a déclenché le réveil de Rosetta, puis le 28 mars cela a été le tour de Philae. A chaque fois, nous avons retrouvé Rosetta et Philae tout à fait dans le même – très bon - état de fonctionnement observé avant l’hibernation.

  • Le freinage: Une phase délicate a consisté dernièrement, de juin à août 2014, à freiner la sonde «par à coups», ce qui a correspondu à l’arrivée de Rosetta près de la comète (100 km et moins).
  • Après la phase d’observation actuelle, la phase d’atterrissage aura lieu aux environs du 11 novembre; c’est une phase délicate notamment en raison du flux de gaz qu’éjecte la comète. La comète est un corps léger, avec une densité faible. La sonde sera donc en micro gravité autour de la comète, et une micro-gravité qui varie fortement vu la forme biscornue de la comète. Il faut donc composer avec toutes les forces, dont la force due aux gaz.
  • Pendant la phase d’observation, en août, nous passerons d’une distance d’environ 100 km de la comète , si l’ESA donne son accord, à une distance de 10 km en octobre. Pendant la phase de séparation de Rosetta et Philae, Rosetta s’approchera à 3 km d’altitude de la comète, et ne s’en approchera plus d’aussi près par la suite. Quelques heures après la séparation, elle sera remontée à 30 km d’altitude, qui est une position de sécurité pour Rosetta.
  • L’atterrisseur Philae est entièrement automatisé et géré par un logiciel de vol. Dès que l’atterrisseur aura détecté l’impact au sol de la comète, une tuyère sera mise en œuvre pour le maintenir plaqué au sol. Les harpons seront alors lancés pour le fixer définitivement à la surface. On ne sait pas encore si le sol sera meuble ou très dur, et les harpons sont conçus pour fonctionner pour tout type de sol.

Que va faire Philae, une fois fixé sur la comète?

Immédiatement après l’atterrissage, les piles vont fournir de l’énergie pour actionner tous les instruments pendant les 2,5 jours qui suivront; les instruments de Philae vont transmettre le maximum d’informations au SONC, via l’orbiteur Rosetta, le plus rapidement possible:

  • CONSERT (Comet Nucleus Sounding Experiment by Radio wave Transmission) va envoyer des rayonnements dans la comète pour reconstituer l’intérieur de la comète
  • ROMAP (ROsetta lander MAgnetometer and Plasma monitor) dans le même objectif, va mesurer le champmagnétique à l’intérieur de la comète
  • Une foreuse va prélever un échantillon qui sera analysé par 3 instruments sur place:
    • CIVA, un microscope
    • Ptolemy, un instrument qui va identifier la composition à l’échelle atomique
    • COSAC, un instrument qui va étudier la composition à l’échelle moléculaire
  • MUPUS va rechercher la dureté du sol et mesurer la température
  • SESAME (Surface Electrical, Seismicand Acoustic Monitoring Experiments) va identifier les caractéristiques électriques du sol
  • APXS (Alpha Proton X-ray Spectrometer) va aussi mesurer la composition du sol par l’envoi de rayon X
  • ROLIS (Rosetta Lander Imaging System) quant à lui, va réaliser des prises de vue avant l’atterrissage et sous Philae une fois atterri.

Philae va dans un premier temps fonctionner avec des piles qui fourniront 1400 wattheures (l’équivalent de l consommation d’une ampoule de 100 W pendant 14 heures), puis avec une batterie secondaire rechargeable grâce aux panneaux solaires, qui va générer 140 wattheures.

Les échantillons ne seront pas envoyés sur Terre. Ils seront directement analysés par les instruments sur place et les résultats transmis via Rosetta au SONC. Les instruments de télécommunication sont donc très importants pour la réussite de la mission.

Que va-t-il advenir de Philae et de Rosetta une fois les informations transmises?

Philae a été conçu pour fonctionner dans le froid. Au fur et à mesure que la comète se rapprochera du soleil avec Philae sur son dos, la température moyenne de Philae va augmenter et il devrait donc subir une panne, due à la chaleur, en mars 2015. De plus, nous ne savons pas si les panneaux solaires ne se recouvriront pas rapidement de poussière….

La fin théorique de la mission de l’orbiteur Rosetta est prévue pour le 31 décembre 2015; cette date dépendra de la quantité d’ergols dont il disposera alors. Il pourrait continuer sa mission d’observation au-delà.

Quelle est la suite logique d’une telle mission pour l’observation spatialeinternationale ?

Compte tenu du contexte économique international, les missions d’observation ne sont pas les plus prioritaires. La sonde Rosetta ayant été lancée il y a 10 ans dans un contexte plus favorable, nous avons pu heureusem*nt poursuivre cette mission dans sa totalité.

J’espère que nous allons préparer de nouvelles missions d’exploration, et que ces missions seront encore plus ambitieuses que Rosetta.

La suite logique de Rosetta serait une mission de récupération d’échantillons à ramener sur Terre. Il faudra très probablement un projet géré conjointement par l’ESA et la NASA; compte tenu de l’ampleur d’une telle mission, il se pourrait qu’elle ne soit pas réalisée avant 2030/2040.

L’autre grande mission consisterait à emmener des astronautes à la surface de Mars, mais il faudra certainement attendre encore plus, 2050 voire 2100. Envoyer des hommes sur Mars serait une mission extrêmement intéressante, sans commune mesure avec une mission robotique telle que Curiosity, pourtant très complexe. En effet il n’y a pas de véritable exploration sans exploration humaine: l’homme peut prendre des décisions, orienter la mission... Il s’agit évidemment d’une mission très coûteuse.

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