Israël-Gaza : comment parle-t-on du conflit dans les écoles ? (2024)

L’école n’échappe pas à l’actualité. On y trouve aussi les tensions qui traversent la société d’aujourd’hui. À plus forte raison dans les établissem*nts fréquentés par des écoliers musulmans?

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Est-ce qu’on aura une 3e guerre mondiale?”, demande Loubna, 8 ans, à Jérôme, son ­instituteur. Nous sommes dans une cour de récréation d’une école fondamentale de la Région bruxelloise, un jour de semaine. Il est 16 heures. Loubna, Jérôme et Samira (9 ans) ­discutent du conflit israélo-palestinien en attendant l’arrivée des parents. Les deux élèves sont d’origine marocaine. Comme un quart des élèves de leur classe. Sur la question d’un éventuel conflit planétaire, Jérôme botte prudemment en touche. “Mais, monsieur, vous préférez la ­Palestine ou Israël?”

L’instituteur: “Je préfère les deux: je n’ai pas de préférence”. Les deux fil­lettes ont, elles, choisi. “Moi, je préfère la Palestine parce qu’ils sont tous en train de souffrir”. “Moi aussi. Au début la Palestine était super-grande et Israël - qui n’existait pas encore - ils sont venus et ont bombardé pour ­prendre la terre de la Palestine”. “Ouais, ce sont des voleurs!” “Maintenant, Israël, c’est beaucoup plus grand et la Palestine, c’est minuscule”. Jérôme souligne qu’il y avait des Juifs en Palestine. Et leur demande si elles savent pourquoi une guerre a éclaté. “Parce qu’ils veulent la terre, parce qu’ils veulent que tout le monde sorte?” Mais quant à savoir ce que le Hamas a fait… “Ça par contre, je ne sais pas”. “Moi non plus, je ne sais pas”. Sur la séquence actuelle du conflit, il manque à Loubna et Samira une information de taille. Les petites filles ne ­semblent pas avoir été exposées, même de manière très édulcorée, aux attaques terroristes effectuées par le Hamas ce 7 octobre qui ont fait plus de 1.400 victimes ­israéliennes. Ni aux enlèvements de 240 personnes qui sont désormais otages.

Enseignants neutres

Élisa, 33 ans, est institutrice dans une classe de 6e primaire d’une école fondamentale située également dans une commune bruxelloise. Les ­élèves sont plus âgés que Loubna et Samira: ils ont 11 ans. La proportion de musulmans est plus importante: un peu plus de la moitié. “Dans la classe que j’anime, on regarde souvent les informations. C’est un support pédagogique. Depuis le 7 octobre, le conflit israélo-palestinien revient quotidiennement.” Élisa se tient à une juste neutralité. Son rôle n’est pas de parler de ses opinions personnelles, mais d’enseigner. “J’essaie de garder de la distance et j’essaie que mes élèves ne prennent pas position, en fait. La force de la classe, c’est qu’elle est assez éclectique, assez diverse. Ce qu’ils retiennent avant tout, c’est la mort des personnes. Et pas nécessairement les religions pratiquées par les morts… Parce que de la même façon, ils vont critiquer Israël qui a bombardé ou le Hamas qui tire des roquettes ou dont les militants tuent des Israéliens.

Ils ne comprennent pas pourquoi Israël a été créé sur des terres occupées par d’autres.

Élisa constate cependant que l’ensemble de la classe penche vers un camp. “Ils prennent, un peu, position quant à l’existence d’Israël. Ils ne comprennent pas pourquoi Israël a été créé sur des terres occupées par d’autres.” L’institutrice a constaté un manque dans les connaissances ­historiques de ses élèves. “Du coup, on est allés voir de quand l’idée de créer le pays datait, pourquoi en Palestine… Et là, il y a eu une petite remise en question, mais pas un ­changement d’avis sur le principe. Ils comprenaient les circonstances dans lesquelles Israël s’était créé tout en ­continuant à trouver qu’il n’était pas juste que le pays ait été fondé sur le ­territoire palestinien.

Israël-Gaza : comment parle-t-on du conflit dans les écoles ? (1)

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Territoires perdus de la mémoire

L’enseignante s’est aidée d’un outil pédagogique relativement récent (il date de 2020): les fiches “Questions vives” mises au point par quatre entités: l’Agence belge de développement (Enabel), Amnesty International, le Conseil supérieur de l’éducation aux médias et la RTBF. Ces fiches visent à aider les profs de toutes disciplines du secondaire (et du primaire) à organiser un débat sur des questions d’actualité et des développements récents qui ­touchent à leurs élèves. Elles sont ­téléchargeables sur Internet.

L’objectif est de produire un support dans les trois jours suivant un événement. “Dans le cas présent, de multiples préoccupations ont conduit à des examens à différents niveaux, ce qui a retardé la publication de deux semaines”, commente Guido Couck, le directeur de communication d’Enabel. La fiche consacrée au conflit israélo-palestinien a été publiée le 3 novembre. Guido Couck ajoutera que cette fiche ne reflète aucune “position officielle”. La direction de l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le cabinet de l’échevinat bruxellois de l’Instruction publique nous ont promis des réactions. Celle de la FWB nous sera transmise in extremis.

Les réflexions sont rares et relèvent plutôt de l’antisionisme que de l’antisémitisme.

Élisa, l’institutrice met en perspective la compréhension dont font preuve ses élèves vis-à-vis des acteurs de la guerre qui oppose Israël au Hamas. “L’année dernière, avec les mêmes élèves, j’ai réalisé une animation au sujet des différentes religions et l’acceptation des autres croyances.” Notamment avec le Centre communautaire laïc juif. “Ils étaient venus dans ma classe organiser des jeux de société au sujet des autres religions. Cela a sans doute contribué à l’ouverture d’esprit de la classe que je constate en ce moment. Parce qu’il n’y a aucune remarque par rapport à d’autres religions ni particulièrement vis-à-vis de la religion juive. Je sais que certains collègues - en 4e et en 6e primaire - constatent des positionnements et des propos assez radicaux.” Des réflexions antisémites? “Plutôt des choses du genre: c’est bien fait ce qu’il leur arrive, ils l’ont bien cherché.” Élisa affirme que ces réflexions sont rares et qu’elles ­re­lèvent de l’antisionisme et non de l’antisémitisme. Ce qui, selon elle, serait dû au fait que dans les deux dernières années du ­fondamental, on aborde ce qu’est la Shoah. Du moins, on l’abordait jusqu’à aujourd’hui… “Avec le programme actuel, on aborde la Shoah et la ­Deuxième Guerre mondiale. On est allés visiter les “Territoires de la mémoire” à Liège. Dans les nouveaux programmes, ce ne sera plus le cas. C’est plus que dommage.

À 10 ans, les enfants sont encore pleins d’empathie et encore peu influencés par les avis des adultes.

Valérie, une institutrice de 6e primaire dont la classe est composée à 70 % de musulmans, est du même avis. “Les enfants sont très attentifs et très impressionnés par ce qui est advenu aux Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. C’est une matière qui permet de travailler la cohésion de la classe et le respect des ­différences, même si ça peut traumatiser certains enfants. À 10 ou 11 ans, les enfants disent de merveilleuses choses ­pleines d’empathie et possèdent encore une innocence peu influencée par les avis des adultes. C’est quelque chose qu’on trouvera moins après, dans le secondaire. Cette empathie, on la retrouvera encore moins lorsqu’on fera l’économie d’enseigner la Seconde Guerre mondiale et la Shoah.”

Des causalités effacées

Ahmet, 44 ans, enseigne depuis huit ans dans un athénée de la Région bruxelloise offrant un enseignement général, de technique de qualification, de technique de transition ainsi qu’un enseignement professionnel. L’établissem*nt accueille plus de 600 élèves dont 70 % sont musulmans. “Depuis le 7 octobre, j’ai dû gérer une fois des propos assez virulents contre les Juifs. Les élèves faisaient l’amalgame entre Juifs et ­Israéliens. Ils n’étaient pas capables de citer les pays arabes limitrophes d’Israël, ni même la manière dont Israël a été fondé. Ils ne connaissaient rien à rien. Quand on ne sait pas, on se tait. J’ai mis tout de suite un terme à la discussion. Je m’en tiens à ma neutralité. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir mon avis sur la question et notamment sur le Hamas qui selon moi participe au malheur de la population palestinienne.

Au sein de l’athénée dans lequel ­enseigne Ahmet, la politique de gestion de la problématique israélo-palestinienne consiste à renvoyer le débat ou les questions au professeur de philosophie et de citoyenneté. Il n’y a pas eu, pour l’instant, malgré le ­contexte actuel, de manifestations antisémites dans l’athénée. “Ce sont plutôt des propos antisio­nistes. Des ­condamnations des bombardements ­israéliens. Il est frappant que les actions terroristes commises le 7 octobre par le Hamas sont absentes des récits des élèves critiquant Israël. Comme si la ­causalité entre les attaques terroristes du Hamas et les ­bombardements israéliens était effacée. Je suis certain que dans leur famille, ils ne parlent pas des attaques du Hamas. C’est ça le problème: ils ne voient qu’une partie des événements. D’où la nécessité d’une information correcte.” Ahmet n’était pas au courant de l’existence de la “Question vive” consacrée au sujet. Et n’a reçu aucune directive particulière de sa direction, ni d’une instance de la Fédération Wallonie-Bruxelles. “Tout se sait chez nous. S’il y avait eu un ­débordement antisémite par exemple, je l’aurais su. Pour l’instant, ça se passe ­plutôt bien. Et le génocide qu’ont subi les Juifs pendant la Seconde Guerre ­mondiale ne fait l’objet d’aucun ­commentaire désobligeant, ça… non, il y a du respect.

Selon mes informations, les programmes de la Fédération Wallonie-Bruxelles ­consacrent deux heures à la Shoah dans le cadre des cours d’histoire dispensés aux rhétoriciens. En dernière année du secondaire”, avance Frédéric Crahay, le directeur de la Fondation Auschwitz. Cette fondation d’utilité publique produit de nombreux outils pédagogiques à ­disposition du corps enseignant au sujet de la résistance, de la Shoah, de la collaboration ayant eu lieu durant le dernier conflit mondial.

Une séquence émotion

Cela dépend des réseaux d’enseignement. C’est un questionnement qui va se poser lors d’une remise à plat qui aura lieu le 25 janvier prochain lors de la journée d’étude de la cellule “Démocratie ou ­barbarie” qui dépend de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Comment et à qui enseigner ces thématiques, ce sont des questions qui reviennent fréquemment. Et les réponses ne sont pas vraiment ­pré­cises.” Mais l’historien est très clair sur la séquence d’événements actuelle. “Quand il se passe des choses aussi dramatiques, que ce soit pour les Palestiniens ou pour Israël, les émotions prennent le ­dessus. Et elles ont, en tout cas pour un temps, plus d’impact qu’un cours de citoyenneté ou d’histoire qui essaie de mettre en perspective le chemin houleux de l’humanité.”

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Author: Carlyn Walter

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